La modernité en Bretagne /2 De Jean-Julien Lemordant à Mathurin Méheut (1920-1940)
Exposition passée
Le Musée de Pont-Aven proposait une exposition en deux volets, consacrée aux sources d’inspiration et aux influences qui émergent, entre 1870 et 1940, en Bretagne. Le premier volet de l’exposition, du 4 février au 11 juin 2017, s’était attaché à revenir sur une période faste de l’art en Bretagne, de 1870 à 1920. En effet, lors de la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreux artistes français de l’avant-garde – Eugène Boudin, Claude Monet, Paul Gauguin, Robert Delaunay, pour ne citer qu’eux – puisent en Bretagne une inspiration féconde, entraînant dans leur sillage de nombreux autres peintres. Au sein de cette effervescence picturale, Pont-Aven voit naître un mouvement majeur : le synthétisme, présenté dans le parcours permanent du musée.
Après le succès de la première partie de l’exposition, qui a réuni plus de 40 000 visiteurs, le musée mettait en lumière dans un deuxième volet (1er juillet 2017 – 7 janvier 2018) le renouveau artistique breton dans l’entre-deux-guerres. Une quête de modernité s’organise autour d’artistes tels que Jean-Julien Lemordant, René-Yves Creston, Mathurin Méheut, Yvonne Jean-Haffen… avec une volonté : conjuguer modernité et authenticité. Les sujets sont puisés in situ : la vie portuaire, le littoral breton, le vent, les travailleurs locaux (pêcheurs, ostréiculteurs, cueilleurs de fraises à Plougastel…). À travers diverses techniques, de la peinture à la céramique, en petit format ou en version monumentale, ces artistes mettent au service de la Bretagne leur créativité et leur talent.
Artistes précurseurs et nouveaux horizons
Au début du XXème siècle, la Bretagne reste une terre fertile pour les peintres. Plusieurs figures marquantes ouvrent la voie d’une nouvelle génération d’artistes, animés par la volonté d’affirmer leurs personnalités à travers une création artistique moderne, diversifiée et attachée à la région. Il n’est plus rare de multiplier les techniques, d’investir de nouveaux supports d’expression ou de réaliser des décors intérieurs. Jean-Julien Lemordant (1878 – 1968) est l’un d’eux. Après avoir suivi l’enseignement de l’école des Beaux-Arts de Rennes, il intègre celle de Paris et devient peintre et décorateur. De 1904 à 1914, période reconnue comme la plus féconde de sa création, il réalise des compositions audacieuses et utilise une palette de couleurs osée, traitant de sujets enjoués ou graves.
Artistes de l'entre-deux-guerres
Pendant l’entre-deux-guerres, l’identité culturelle bretonne constitue un maillon fort du processus de création des artistes : celle-ci devient une source d’inspiration inépuisable. Entre quête d’esthétisme et humanisme, l’individu est placé au centre de ses activités quotidiennes et de labeur, à l’image des oeuvres de Mathurin Méheut (1882 – 1958) qui s’intéresse beaucoup plus aux hommes et aux femmes qu’aux paysages. Le traumatisme
de la Première Guerre mondiale insuffle également une certaine gravité. Influencés par le courant artistique de l’expressionnisme, Pierre de Belay (1890 – 1947) et Paul-Auguste Masui (1888 – 1981) tendent à interpréter la réalité à travers la force expressive de leurs sujets. D’autres peintres n’hésitent pas à décrire des silhouettes monumentales de marins pêcheurs, en pratiquant des perspectives en plongée et contre-plongée. Comme dans les oeuvres d’Yves de Kerouallan (1895 – 1984) et de Paul-Émile Guillaume (1900 – 1975), les valeurs et le respect du travail dans une société en pleine reconstruction inspirent des représentations d’hommes robustes bravant les dangers de la mer.
Peintre à la lisière du symbolisme et de l’expressionnisme, Jean-Georges Cornélius (1880 – 1963) pose un regard singulier sur la Bretagne, où la vie quotidienne lui inspire des scènes mystiques. Touché par la spiritualité bretonne, il aime fréquenter les pardons, dont il n’a pourtant pas laissé de représentations. La dimension religieuse, entre tradition et modernité, tient une place importante dans le travail d’Ernest Guérin (1887 – 1952). Aquarelliste virtuose, il n’hésite pas à s’emparer du triptyque, support en pleine renaissance à cette période, pour faire le récit des scènes de pardon qui rythment le quotidien des Bretons.
L’exposition accordait une place de choix aux sculpteurs, présentant quinze sculptures dont dix bronzes, deux bois, un plâtre, une céramique et un granite.
Les arts décoratifs en Bretagne
Formé à l’école des Beaux-Arts de Rennes, puis à l’école Nationale des arts décoratifs à Paris, Mathurin Méheut (1882 – 1958) acquiert une solide formation artistique. En 1913, un séjour à Roscoff déclenche les grandes perspectives qui caractérisent sa création future : observation attentive de la fugacité du réel, étude d’une humanité pittoresque et travailleuse. Il porte en particulier un regard attentif aux pêcheurs, son œuvre Les Filets bleus en est un bel exemple. Son voyage au Japon, son expérience de la guerre, ses périples en Bretagne sont autant d’expériences qui alimentent son répertoire d’études dans lesquelles il puise pour réaliser ses nombreux tableaux, illustrations et décors. La technique de prédilection de Mathurin Méheut est la caséine sur toile, papier ou carton, seule ou mélangée avec la gouache. Elle offre une matité et une rapidité de séchage recherchées par l’artiste.
En 1925, Yvonne Jean-Haffen (1895 – 1993) croise la route de Mathurin Méheut, une rencontre déterminante pour la carrière de cette artiste. Elève, amie et collaboratrice, elle s’imprègne des techniques de son mentor, parcourt la Bretagne à ses côtés et participe à quelques-uns de ses grands décors, comme celui pour l’immeuble Heinz aux États-Unis. En 1937, dans le pavillon de la Bretagne à l’Exposition Internationale, à Paris, Yvonne Jean Haffen décore l’escalier de cinq bas-reliefs polychromes. Elle devient une figure marquante de la scène artistique bretonne.