Œuvre radicale et déroutante, Fête Gloanec dit aussi Nature morte « fête Gloanec » a tout d’une énigme ! La composition renverse les codes classiques du genre en faisant le choix d’une vue en surplomb, décentrant spatialement les objets : un bouquet de soucis orange avec bleuet et marguerite, enveloppé d’un papier blanc, disposé près de fruits (oranges, poires, pêches, prunes), et de ce qui ressemble à une galette bretonne. La lecture de l’œuvre est complexe du fait d’un cadrage décentré subtilement emprunté à Degas ou d’influence japonisante. La gamme colorée montre une grande audace de l’artiste qui exalte un rouge vermillon sur une bonne partie de la toile. La simplification des formes répond aux nouvelles recherches stylistiques de l’année 1888, très inspirées des estampes japonaises. Difficile à décodée, l’œuvre l’est d’autant plus que le titre comme la signature sont énigmatiques. Le titre indique qu’elle aurait été réalisée pour la « fête de la patronne » de la pension Gloanec, tenue par Marie-Jeanne Gloanec le 15 août 1888, soit au même moment que l’autre œuvre fondatrice du style synthétiste « La Vision du sermon » (Edimbourg, National Galleries of Scotland). L’artiste répond alors à une tradition informelle des peintres de Pont-Aven d’offrir un tableau à leur hôtesse. La signature interroge. Face à la critique d’un certain G. de Maupassant (qui serait le père de l’écrivain), Gauguin trouve une supercherie et signe « Madeleine B » qui n’est autre que la sœur d’Emile Bernard pour donner à voir l’œuvre d’une novice. L’ambiguïté sur la paternité de l’œuvre démontre bien la conscience de l’artiste de produire une peinture radicale, en rupture totale avec la création picturale de son temps.
40 ans : Gauguin, Bernard, Van Gogh s’invitent au musée !
Exposition à venir
Pour célébrer l’anniversaire des 40 ans du Musée de Pont-Aven, l’équipe a prévu de nombreux rendez-vous tout au long de l’année. En exclusivité, un accrochage exceptionnel de Bretonnes dans la prairie d’Émile Bernard prêté par le musée d’Orsay, partenaire de notre musée, de la Fête Gloanec de Paul Gauguin prêtée par le musée des beaux-arts d’Orléans, et la copie de Bretonnes dans la prairie par Van Gogh prêtée par la galleria arte moderna de Milan prendront place dans notre parcours permanent. Cette présentation sera l’occasion de découvrir la suite Volpini complète, série de 11 zincographies réalisées par Gauguin en 1889 et que conserve le musée. Le musée des beaux-arts de Quimper participe à l’événement en prêtant une série de ces très belles œuvres de l’école de Pont-Aven. A découvrir absolument !
Paul GAUGUIN, Gourde de pèlerinage
La céramique permet à Paul Gauguin de concilier plusieurs passions artistiques, allant de la tradition non occidentale à la recherche picturale la plus moderne. Sans doute influencé par les poteries précolombiennes rapportées par sa mère du Pérou mais également par la céramique japonaise présentée à l’Exposition universelle de 1878, Gauguin voit son goût pour l’artisanat et le travail à même la matière combler par cette nouvelle technique.
La céramique n’est pas une futilité,
Il traite d’ailleurs le grès plus en céramiste qu’en sculpteur.
Gauguin découvre la terre avec le céramiste Ernest Chaplet et espère gagner de l’argent avec ces nouvelles productions. Cette gourde fait partie d’un ensemble d’œuvres réalisées en 1887-1888. Malheureusement, du fait de leur fragilité mais aussi de destructions dues à une certaine incompréhension, ces pièces se font rares mais font montre d’une créativité tant dans les formes que dans les décors.
Gauguin a sans doute voulu faire référence aux pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle : le couvercle, l’anneau, l’anse et la courroie de suspension s’ajoutent au brun du grès à peine rehaussé par quelques touches de bleu et de blanc pour faire penser à une gourde en cuir. Un Breton, canne à la main, et une Bretonne portant la coiffe noire du Pouldu se tiennent la main sur l’un des côtés de l’objet. Ils semblent sortir tout droit d’un tableau de Gauguin. De part et d’autre, dans un décor simplifié et japonisant, l’artiste a modelé des oies, motif récurrent notamment dans le décor de la buvette de Marie Henry.
Cette gourde fut acquise en 1891 par Hippolyte Durand-Tahier, journaliste et écrivain, secrétaire de la Société nationale des beaux-arts, qui était un amateur de céramique contemporaine et très proche de Maxime Maufra. Il est mort très jeune, à l’âge de 36 ans, ce qui explique peut-être que cet objet rare et précieux ne fut redécouvert dans une caisse qu’en 1982 à la mort de la fille de Durand-Tahier.
(MBAQ)
Paul GAUGUIN, L’Oie
Durant l’été 1889, Paul Gauguin, lassé par la foule des peintres qui se presse à Pont-Aven, décide de s’isoler au Pouldu. Accompagné de Meijer de Haan, peintre amateur hollandais, il s’installe à l’auberge de la Plage tenue par Marie Henry. Les deux artistes sont rejoints par Paul Sérusier et Charles Filiger. Très vite, la salle à manger de l’auberge se transforme en véritable atelier. Dans une lettre adressée à Vincent Van Gogh le 20 octobre 1889, Gauguin écrit :
… Un assez grand travail que nous avons entrepris en commun de Haan et moi : une décoration de l’auberge où nous mangeons. On commence par un mur puis on finit par faire les quatre…
Cet enthousiasme collectif débouche sur la création de l’un des plus incroyables ensembles décoratifs de l’époque.
Peinte par Gauguin sur un enduit de plâtre, L’Oie, située au niveau de l’imposte du mur ouest, n’a été redécouverte que dans le courant des années 1920 par des artistes américains. Son acquisition en 1999 par le musée des Beaux-Arts de Quimper a constitué un événement qui a fait date en permettant de compléter les deux autres éléments du décor de l’auberge de Marie Henry déjà présentés (Le Génie à la guirlande de Charles Filiger et le Pichet et oignons de Jacob Meijer de Haan). Le thème de l’oie, abondamment représenté par des artistes impressionnistes comme Camille Pissarro, prend chez Paul Gauguin une signification partagée entre réalisme et symbolisme. On y reconnaît évidemment sans peine l’animal de la ferme tout comme on pourrait y déceler une allusion au mythe de Léda et de Zeus, lui-même renvoyant à la liaison entre Marie Henry et Meijer de Haan. Léda, transformée en oie, personnifierait ainsi l’hôtesse des lieux. Autour de l’oie, Gauguin a disposé des fleurs ressemblant à des boutons de fleurs de lotus, ajoutant ainsi un motif extrême-oriental qui annonce le syncrétisme formel qui s’épanouira dans les chefs-d’œuvre tahitiens.
(MBAQ)