Acquisition exceptionnelle par préemption d’un autoportrait d’Emile Bernard
En août 1896, Émile Bernard quitte le Caire avec femme et enfant pour Grenade. Inquiet pour la santé de son fils Otsi, touché par la mort de sa sœur Madeleine, en proie à des problèmes financiers, tourmenté par les querelles liées à l’invention du synthétisme, il semble « délivré de l’envoûtement parisien de l’impressionnisme » et déterminé à restaurer les valeurs des maîtres anciens mais s’ouvre en même temps une période mélancolique. Il découvre en novembre Séville et ses œuvres : Valdés Léal, Pedro de Campana et Zurbaran qui lui inspire des autoportraits. C’est le début d’une nouvelle période stylistique pour l’artiste qui s’éloigne des principes synthétistes.
Notre autoportrait présente le même camaïeu de bleu que les autres autoportraits connus, ou encore que l’œuvre manifeste de cette époque Mendiants espagnols (1897, coll. part.). Les noirs profonds, les couleurs austères, le caractère dépouillé de la composition rappellent Manet et Zuloaga, Bernard semble moins mélancolique que dans l’autoportrait de Roubaix. Il est reconnaissable à son visage triangulaire, son front large, ici quelque peu camouflé par le chapeau, son bouc et sa moustache. Picasso a sans doute vu un des autoportraits de Séville à l’exposition Bernard chez Vollard en 1901, juste avant qu’il ne débute sa « période bleue ».
Certes, il ne s’agit pas d’un autoportrait de la période synthétiste de Bernard (cf autoportraits conservés au musée d’Orsay et au musée des beaux-arts de Brest, 1889-1890), ni de la 1ère période égyptienne aux échos encore synthétistes (cf Autoportrait au turban jaune, 1894, musée des beaux-arts de Quimper) mais ce tableau permet d’évoquer le virage stylistique d’Émile Bernard et constitue, comme souvent chez l’artiste, un autoportrait manifeste. Une quarantaine d’autoportraits sont répertoriés, l’artiste ayant pris l’habitude de s’adonner à cet exercice introspectif au moins une fois par an. Il est à rapprocher, dans nos collections, d’un pastel que nous avons récemment acquis, un portrait de Bernard de 1892 par Schuffenecker.